Ruben Um Nyobè, aussi connu sous le nom de Mpôdol le porte-parole en langue Bassa’a, est né en 1913 à Song Mpeck, non loin de Boumnyébel, une ville du Cameroun située dans le district de Ngog-Mapubi, à environ 70 km de Yaoundé. Ses parents, Nyobé Nsounga et Ngo Um Nonos, étaient tous deux agriculteurs Bassa’a. À cette époque, le Cameroun était encore sous occupation allemande, mais était divisé entre la France et le Royaume-Uni après la Première Guerre mondiale.
Um Nyobè a fréquenté les écoles presbytériennes dans la partie orientale du pays occupée par les Français, ce qui était une opportunité rare pour les autochtones. Il est ensuite devenu fonctionnaire, d’abord dans les finances puis dans l’administration judiciaire.
En 1944, Um Nyobè a épousé Marthe Françoise Ngo Mayack, aussi connue sous le nom de Badjôb. Cependant, en 1955, il a quitté sa femme pour rejoindre le mouvement de résistance. Sa partenaire dans la clandestinité était Marie Ngo Njock Yébga, avec qui il eut un fils prénommé Daniel, né le 25 avril 1957 dans le camp de résistance. Um Nyobè parlait couramment le français, le bassa, le bulu et le douala.
En tant que leader bassa’a, Um Nyobè fut une figure clé de la lutte politique et armée pour l’indépendance du Cameroun. Il fut tué en 1958 par l’armée française lors d’une rébellion armée. Parmi ses compagnons d’armes figuraient Félix-Roland Moumié et Ernest Ouandié.
Um Nyobè devint fonctionnaire et s’intéressa très tôt à la politique.
Um Nyobè était un jeune homme qui s’est impliqué dans différents groupes au Cameroun à la fin des années 1930 et après la Seconde Guerre mondiale. Il a rejoint un groupe appelé Jeunesse camerounaise française (JeuCaFra) pour lutter contre la propagande nazie. Plus tard, il a rejoint un groupe d’études marxistes à Yaoundé, qui a contribué à nourrir le nationalisme camerounais. Ce groupe visait à lutter contre le nazisme, le racisme et le colonialisme. Um Nyobè a également rejoint un syndicat appelé Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC) pour soutenir les droits des travailleurs. Cependant, dans les colonies comme le Cameroun, les revendications des travailleurs étaient souvent liées à la question du colonialisme.
En mai 1945, le groupe d’études marxistes a réorienté son attention vers la création d’un mouvement national camerounais dans le but d’obtenir l’indépendance. Deux événements en particulier ont alimenté les sentiments nationalistes et anticoloniaux. En septembre 1945, à Douala, des colons ont tiré sur des ouvriers en grève, ce qui a provoqué des émeutes. La violence s’intensifie, un avion est même utilisé pour attaquer les émeutiers. Les rapports officiels font état de 8 morts et 20 blessés, mais certains historiens estiment que le bilan réel est bien plus élevé. La répression contre les dirigeants de l’USCC, Maurice Soulier et Léopold Moumé Etia, conduit à l’émergence d’une nouvelle génération de militants, dont Um Nyobè devient le secrétaire général du syndicat en 1947.
Un événement majeur fut la création du Rassemblement démocratique africain. Um Nyobè et Léopold Moumé Etia étaient à Bamako en septembre 1946 pour le premier congrès du parti, représentant l’USCC. De retour au Cameroun, l’USCC travailla à la création d’un parti camerounais, ce qui conduisit à la fondation de l’Union des populations du Cameroun (UPC) par des syndicalistes de l’USCC dans la nuit du 10 avril 1948 dans un café-bar de Douala.
Le parti créa plus tard une branche féminine en 1952, appelée l’Union démocratique des femmes camerounaises, pour lutter contre la discrimination dont les femmes étaient victimes. En 1954, ils formèrent également une organisation de jeunesse appelée la Jeunesse démocratique du Cameroun. Le parti mit l’accent sur la nécessité d’éduquer et d’élever le niveau idéologique de ses membres et dirigeants, et créa des écoles du parti. Ils se concentrèrent sur le renforcement des comités de base pour construire un parti de la base et préférèrent s’appeler un « mouvement » plutôt qu’un « parti ».
Malgré des ressources financières limitées, l’UPC parvient à publier trois journaux (La Voix du Cameroun, l’Étoile et Lumière) grâce au dévouement de ses membres. Le parti prône l’indépendance nationale, la réunification de l’ancien Kamerun allemand et la justice sociale. Um Nyobè parcourt le pays pour donner des conférences.
L’historien Louis Ngongo note que l’expérience d’Um Nyobè dans le mouvement ouvrier lui donne un avantage sur les autres dirigeants politiques. Au lieu de se perdre dans des théories abstraites sur la liberté et l’indépendance, le secrétaire général de l’UPC se concentre sur les préoccupations des travailleurs urbains et des agriculteurs ruraux : le prix du cacao par rapport aux produits importés, le chômage, le manque d’hôpitaux et d’écoles.
L’administration coloniale tente de discréditer Um Nyobè en le présentant comme un agent du communisme international, affirmant qu’il a été formé « au-delà du rideau de fer, à Moscou, Varsovie, Prague ». Ces mensonges ont même été repris par certains journaux en France, même après sa mort.
Um Nyobè s’oppose au tribalisme et à son utilisation par le colonialisme comme moyen de diviser les peuples : « Une telle situation nous oblige à rompre avec le tribalisme désuet et le régionalisme rétrograde, qui constituent actuellement et à l’avenir un réel danger pour le développement de la nation camerounaise. »
La mission libératrice auprès de l’ONU
Um Nyobè avait une grande foi dans l’ONU nouvellement créée et dans le droit international. Le Cameroun, classé « sous tutelle » selon le chapitre 12 de la Charte de l’ONU, n’était plus une colonie allemande mais l’un des « territoires qui peuvent être détachés des États ennemis à la suite de la Seconde Guerre mondiale » (article 77 de la Charte) sous mandat des États membres de l’ONU. Dans ce cas, la France et le Royaume-Uni étaient les autorités chargées d’administrer la tutelle. Um Nyobè espérait les utiliser pour éviter de recourir à la violence pour obtenir l’indépendance. Il a soumis des pétitions au Conseil de tutelle de l’ONU, organisé des manifestations à chaque visite d’une mission de l’ONU au Cameroun et pris la parole à trois reprises devant le Conseil de tutelle de l’ONU entre 1952 et 1954.
Engagement dans la résistance
Um Nyobè s’est d’abord opposé à la violence. En 1952, il déclarait que « la lutte armée était déjà menée par des Camerounais qui ont grandement contribué à la défaite du fascisme allemand. Les libertés fondamentales que nous réclamons et l’indépendance que nous devons rechercher ne sont plus des choses qui s’obtiennent par la lutte armée ».
La Charte des Nations Unies a recommandé le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes afin d’éviter une telle situation. Il reconnaît cependant le droit des peuples à la lutte armée ailleurs sur la planète lorsque les circonstances l’exigent. Il salue les « luttes héroïques » menées par les Vietnamiens du Việt Minh et les Algériens du FLN.
Ruben Um Nyobè fut abattu par l’armée française le 13 septembre 1958 dans la forêt où il se cachait, après que les troupes coloniales françaises l’eurent localisé avec des informations obtenues par la torture d’une prisonnière, selon une source Wikipedia. Après des mois de traque de ses partisans, tous tués ou capturés un à un, son camp fut localisé début septembre 1958 par le capitaine Agostini, officier de renseignement, et Georges Conan, inspecteur de sécurité. Um Nyobè fut abattu de plusieurs balles, tombant sur le bord d’un tronc d’arbre qu’il tentait d’escalader ; c’était près de sa ville natale, Boumnyebel, dans le département du Nyong-et-Kéllé dans une zone occupée par l’ethnie Bassa’a, dont il était originaire.
Le Mpôdol de l’oubli à la réhabilitation
Jusque dans les années 1990, toute mention de Ruben Um Nyobè était interdite. La loi camerounaise n° 91/022 du 16 décembre 1991 le réhabilite, car il a « œuvré à l’éclosion du sentiment national, à l’indépendance ou à la construction du pays, au rayonnement de son histoire ou de sa culture ». Selon l’article 2 de la loi précitée, « la réhabilitation a pour effet de dissiper tout préjugé négatif entourant toute référence à ces individus, notamment en ce qui concerne leurs noms, biographies, images, portraits, dénominations de rues, monuments ou édifices publics ».
Le gouvernement français annonce aux Camerounais, maintenant que l’« hypothèque Um Nyobè » est levée, qu’il accordera l’indépendance à leur pays le 1er janvier 1960. À l’époque, Ahidjo, avec le soutien du gouvernement français, avait rendu illégale la simple mention de Ruben Um Nyobè et de l’UPC. Si Ruben Um Nyobè n’est pas très connu en France aujourd’hui, il est très admiré au Cameroun. Après les émeutes de février 2008, l’universitaire et militant Achille Mbembe estime que le Cameroun doit puiser dans l’esprit de rébellion que Ruben Um Nyobè a jadis suscité.
Depuis le 22 juin 2007, un monument a été érigé à la mémoire d’Um Nyobè au carrefour Abbé Nicolas Ntamack à Éséka. Le monument, conçu par l’architecte lieutenant-colonel Maurice Teguel et construit par Jacques Mpeck Tedga, présente une statue de 6 mètres sur un piédestal de 5 mètres et de 20 tonnes dans un jardin public de 400 mètres carrés. Ce monument commémore l’arrivée de Ruben Um Nyobè à la gare d’Éséka en 1952 après avoir assisté à un sommet de l’ONU.
Le 8 mars 2019, le chanteur camerounais Blick Bassy a sorti son album « 1958 » en l’honneur d’Um Nyobè.
Par : Arsène de Bangweni / Afrique Première Tv